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Un écrivain castrais méconnu

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Bien que Picasso n’ait jamais mis les pieds à Castres, il existe malgré tout un lien, certes tenu, mais bien réel. Ce lien se nomme Marc Sabathier-Lévêque, un écrivain, peintre , musicien et journaliste à Paris-Match, né en 1928, à Castres. Il est certes peu connu, mais la brièveté de sa vie ne lui laissa que 37 ans pour acquérir un renom incertain.

Quoi qu’il en soit, à 25 ans, il sollicite une rencontre avec Picasso à André Malraux, un ami commun. Cela fait de nombreux mois qu’il tente vainement de convaincre un éditeur de publier son très long poème de plus de 300 pages intitulé Oratorio pour la nuit de Noël. Malraux d’ailleurs croit en ce texte quelque peu insolite ; ni poème, ni journal, écriture automatique, relents surréalistes qui rappellent d’ailleurs certains textes du génial artiste espagnol. Dithyrambique, il considérait ce texte comme « l’un des ouvrages majeurs du XXe siècle ». Entrainé par son enthousiasme, il se fourvoya en écrivant à son jeune auteur : « On vous découvrira dans trente ans », ce qui n’a toujours pas eu lieu, ce texte restant toujours aussi confidentiel.

Mais pourquoi Marc Sabathier-Lévêque suppose-t-il que Picasso peut l’aider ? Intuition ? Sait-il que l’apport de quelques dessins, gravures, pouvait être une raison suffisante pour déclencher l’enthousiasme d’un éditeur ? Qu’importe ! Ce qui est sûr est l’admiration qu’il porte au peintre. Son influence artistique est d’ailleurs manifeste dans ses propres travaux picturaux. La fougue qui anime l’auteur est en soi remarquable. L’opiniâtreté aussi. Car son « Oratorio pour la nuit de Noël » n’est pas une œuvre de peu d’importance. Il l’a débutée à l’adolescence. Cela fait 10 ans qu’il y travaille sans relâche. Et qu’il réécrit, parfois par légères retouches, parfois comme il y a 3 ans par une large refonte.

La rencontre entre le peintre et le jeune poète a finalement lieu fin août 1954 à la terrasse du célèbre café des peintres « Les Templiers » de Collioure. Touché par la ferveur du jeune homme et sans doute par sa « vista » instinctive, Picasso avec sa gentillesse légendaire accepte de réaliser des dessins pour illustrer l’oratorio. L’écrivain Patrick O’Brian, qui réside à Collioure, devait assister à la rencontre car il relate dans « Pablo Ruiz Picasso » (Gallimard 1974) qu’il l’invita alors à venir le retrouver le lendemain 26 août 1954 à Perpignan, probablement chez les Lazerme chez qui il a ses habitudes. 14 dessins furent réalisés en 2 jours par Picasso qu’il les lui remit en mains propres. Il s’agit uniquement de portraits du poète, ce qui prouverait que Picasso n’a pas lu l’œuvre bien qu’il le flatte avec ces mots « Tu es celui qui a fait sortir la littérature française de son style Louis-Philippard ».  Mais selon Marc Jeanson, c’est directement à la terrasse des Templiers, que Picasso réalisa, en une heure environ, « à l’encre de chine avec une plume baveuse qu’il essuyait constamment 20 ou 30 portraits du poète Marc Sabatier-Levèque », « les dessins recueillis au fur et à mesure par son fils et son chauffeur Paulo ».

Peu importe quelle version des faits est fidèle à la réalité, ce qui est certain fut la joie de Sabathier-Lévêque. Et il avait vu juste, son ouvrage est publié l’année suivante par Jérôme Lindon pour le compte des Éditions de Minuit sous une magnifique couverture toilée bleu nuit portant l’un des portraits de l’auteur. Imprimé en jaune, le dessin est simplement accompagné des signatures du poète et du peintre. Le tirage est de 1000 exemplaires. Y figurent 16 portraits et non entre la vingtaine et la trentaine dont parle Jeanson. Comme le texte est inspiré de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach,  l’éditeur et l’auteur décident d’associer un des portraits au prélude, puis aux onze thèmes et aux trois interludes et enfin au postlude. Mais l’ouvrage, malgré sa magnifique réalisation éditoriale ne trouvera pas son public. En outre, plus de la moitié du tirage disparaît, mangé semble-t-il par les rats, dans le dépôt normand de l’éditeur. Il faut attendre 1987, pour en voir une réédition, due à Samuel Tastet éditeur.

Selon Wikipedia, l’Oratorio pour la nuit de Noël est un chant de l’adolescence, l’apocalypse d’un enfant de l’Assistance publique qui découvre le monde et se découvre lui-même, au-delà d’une improbable famille. Le texte, dont le titre fait référence à l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, est construit selon la structure musicale d’un oratorio, à partir de thèmes qui sont repris et développés selon le principe de la fugue, en un style qui fait tourbillonner les mots, éclater le langage, en mêlant calligrammes, recherches typographiques, le tout formant une « étrange musique » (les premiers et derniers mots de l’œuvre).

Par l’auteur, on sait que Marc Sabathier-Levêque était né d’un père inconnu. En outre, sa mère l’avait confié à une sage-femme nommée Lévêque. Elle dut être très proche du poète pour qu’il décide d’accoler le nom de cette femme à son propre patronyme. Mais elle décède alors qu’il n’a que 13 ans ; quelques mois donc avant d’attaquer son projet littéraire. Les thèmes qu’il aborde montrent d’ailleurs que ce nouvel abandon fut le principal moteur de son écriture. Il est un élève brillant qui excelle dans tout ce qu’il entreprend. C’est à Castres, pendant la guerre qu’il rencontre Hans Bellmer qui l’initiera en partie à l’art graphique et qui lui fera l’honneur de réaliser son portrait.

Marc Sabathier-Levecque en 1950 avec Thomas Harlan

A Paris, il suivra les cours de l’IDHEC dont il sortira lauréat. Quand il ne dessine, peint, colle, ou écrit, il fréquente le groupe surréaliste, rencontre Marcel Duchamp, Giacometti, Pierre Demarne, Breton, Jacques Prévert, Pierre Boulez, Thomas Harlan, Klaus Kinski, … En 1946, il réalise le dernier portrait photographique de Gertude Stein.

Dernier portrait de Gertrude Stein avant sa mort par Marc Sabathier-Levecque

10 ans plus tard en 1956, il entre à Paris-Match grâce à Gaston Bonheur, alors rédacteur en chef du magazine. Son premier article qu’il signe sous le nom de Jean-Marc Sabathier traite (tiens donc) du Mystère Picasso de Clouzot.

Atteint d’un cancer de l’épiglotte, il meurt le 12 février 1965. Ses amis venaient d’organiser en hommage une exposition à la galerie Reichenbach à Paris. Intitulée « Mondes de Marc Sabathier-Lévêque ». Elle présentait notamment une dizaine de grands photomontages caractéristiques de l’école surréaliste.

La Société culturelle du pays castrais,a publié en 1989 sous la plume de Gaston-Louis Marchal, une biographie du poète « Marc Sabathier-Levêque : poète et peintre castrais, 1928-1965 : en passe de célébrité », dans le volume 3 des Cahiers de la Société culturelle du pays castrais.

Marc Sabathier-Lévêque perdure dans l’esprit des tarnais grâce au prix du Festival des Poésies Actuelles de Cordes-sur-Ciel


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